Le film Verso Benares (2019) offre une exploration fascinante de l’Inde et de ses racines spirituelles, en particulier de l’hindouisme. La pellicule s’inscrit dans un courant cinématographique qui, dès les années 50, a cherché à représenter l’Inde non seulement comme un lieu exotique, mais comme un carrefour de profondes traditions religieuses et philosophiques. Cet essai vise à analyser comment Verso Benares dialogue avec la tradition cinématographique française sur l’hindouisme, en particulier avec les œuvres inspirées par les réflexions de Mircea Eliade, le grand spécialiste roumain qui a profondément influencé la compréhension occidentale de l’Inde.
L’hindouisme dans le cinéma français : entre exotisme et sacré
Le cinéma français a joué un rôle central dans la représentation de l’Inde, notamment à partir des années 50 et 60, lorsque des réalisateurs comme Robert Bresson (Un condamné à mort s’est échappé, 1956) et Jean Renoir (La Règle du jeu, 1939) ont exploré des thèmes liés à la spiritualité. Cependant, c’est avec Le Monde du silence (1956) de Jacques-Yves Cousteau que l’Inde commence à apparaître comme un lieu de profonde spiritualité, anticipant un intérêt plus large pour les traditions orientales. Dans les années 60, avec la Nouvelle Vague française, l’Inde devient un thème récurrent. Des réalisateurs comme Jean-Luc Godard (Weekend, 1967) et Agnès Varda (Les Glaneurs et la Glaneuse, 2000) commencent à explorer l’Inde comme un lieu de contradictions, où la spiritualité et la modernité coexistent. Cependant, c’est avec les documentaires d’Alain Danjou et India Song (1975) de Marguerite Duras que l’hindouisme est représenté avec une plus grande profondeur philosophique.
Mircea Eliade et l’Inde : un dialogue intergénérationnel
Mircea Eliade, philosophe et historien des religions, a eu une influence significative sur la manière dont l’Inde et l’hindouisme ont été perçus en Occident. Dans son essai Le Yoga : Immortalité et liberté, Eliade analyse l’hindouisme comme une tradition qui cherche l’unité entre le corps et l’esprit, un thème qui revient dans de nombreuses représentations cinématographiques. Dans le film Verso Benares, la quête spirituelle du protagoniste est un écho des réflexions d’Eliade. Le voyage vers Bénarès, la ville sacrée, symbolise un chemin intérieur, un retour aux origines, thème cher à Eliade. La ville devient un lieu de purification, où le protagoniste cherche à se réconcilier avec sa propre existence, un concept qui rappelle l’idée éliadienne d’hiérophanie, la manifestation du sacré dans le quotidien.
Verso Benares et le Cinéma Contemporain sur l’Inde : La Vision Éliadienne Transposée
Le documentaire de Vignali et Prata opère une synthèse visuelle qui reflète fidèlement les concepts clés d’Eliade, en particulier l’opposition et la fusion entre temps profane et temps sacré. À Varanasi, le temps n’est pas linéaire, mais un « temps mythique » constamment réactualisé par les rites qui se déroulent sur les ghats et par la présence ininterrompue de la mort. Verso Benares utilise son esthétique contemplative – les plans longs, la musique éthérée et l’absence de commentaire explicite – pour démanteler le sens occidental d’une réalité sécularisée.
La caméra s’attarde sur les figures des pèlerins, des sadhus et des rituels de crémation non pour leur valeur exotique, mais pour révéler l’« être religieux » qu’Eliade identifiait comme universel. Le choix de ne pas fournir de narration verbale contraint le spectateur à faire l’expérience de la ville comme un centre sacré, un axis mundi où le ciel et la terre se rejoignent à travers le Gange. Le documentaire, en ce sens, s’aligne non seulement sur la tradition esthétique française (comme l’approche lente et sensorielle de Marguerite Duras), mais aussi sur l’analyse phénoménologique d’Eliade : l’Inde comme le dernier grand bastion de la conscience mythique, et Varanasi comme sa manifestation la plus lumineuse et la plus troublante.